Les médisances en entreprise sont-elles une plaie ou un facteur positif ? Voire même, sont-elles un élément constitutif du facteur K ? Sous cet angle ou sous l’autre, la question mérite d’être posée. Pourquoi ? Mais, parce que les médisances, en bref, les cancans, font partie de ces choses que tous les groupes humains ont en partage. Quels qu’ils soient ! Alors, du point de vue du facteur K , positifs ou négatifs, les cancans ?
C’est quoi un cancan en entreprise ?
Commençons par le commencement et par un peu de théâtre. Rémi et un groupe de copains et de copines sont autour de la machine à café dans le couloir de leur département. Ils regardent bien autour d’eux. Pas de chef en vue, ni de personne dont il faut se méfier. Ils peuvent cancaner en toute tranquillité.
– Dites donc vous l’avez appris ? C’est Rémi qui parle.
– Quoi donc ? lui répond en chœur le reste de son groupe.
– Germain a été nommé chef de projet pour la création de la nouvelle agence à Saint Brévin les Pins ! Reprend Rémi.
-Quoi ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Se récrient, Martine, avec virulence, Pierre, avec un hoquet dans la voix, et Isabelle, presque timidement.
-Mais, il ne vaut rien ce type ! On est tous d’accord là-dessus. S’acharne Martine sur le pauvre Germain victime de son ire. Pour arriver là, Il a sûrement dû lécher les bottes du boss et peut-être plus. Confie-t-elle avec un sourire entendu.
Et ainsi de suite. Ce ne sont là que les propos très ordinaires d’une journée très ordinaire dans les couloirs d’une entreprise très ordinaire comme il y en a des milliers d’autres dans ce pays. Au point qu’on est tenté de ne plus y prêter attention et même d’y trouver un intérêt managérial.
Mais d’où vient ce besoin irrépressible de cancaner ?
Quelles sont les causes des cancans et des médisances en entreprise ?
Cancan ou médisance, est-ce que c’est la même chose ?
D’une manière générale, le cancan est ressenti comme quelque chose de largement inoffensif. Après tout, tout le monde cancane.
Sauf que, si on n’y prend garde , le cancan peut se muer en dénigrement systématique et en médisances diffamatoires. Du soft, on passe là au hard.
Tout est donc affaire de degré et la différence entre chacun de ces degrés tient aux causes qui font passer de l’un à l’autre.
Le cancan familier
Le cancan familier, c’est celui de tous les jours. En principe, il ne porte pas à conséquence. Chacun en prend pour son grade, d’une manière ou d’une autre. Il est, par nature, on ne peut plus, égalitaire. Par ailleurs, la plupart du temps, il ne dépasse guère le stade de la moquerie et reste humoristique.
De fait, il a un double mérite. D’une part il aide à se sentir bien avec le groupe ou la personne avec qui on cancane. C’est un facteur de lien en quelque sorte.
Pour les frères Goncourt – oui, oui les créateurs du fameux prix – qui étaient loin d’être des amateurs dans ce domaine, aucun doute à avoir :
La médisance est encore le plus grand lien des sociétés.
On a le droit de ne pas être d’accord. Mais, peut-être pensaient-ils aussi à cet autre avantage du cancan : il permet de se sentir tout d’un coup meilleur, plus fort ou plus apte. Bref, ça donne le moral.
Mais, le cancan peut se transformer et devenir la base d’une véritable stratégie managériale.
Le cancan base d’une stratégie managériale
En effet, quand le cancan est sciemment mis au service d’une ambition, les choses prennent une tournure beaucoup moins drôle et il peut y avoir « mort d’homme ». Au propre et comme au figuré. D’ailleurs, dans ce cas, parler de cancan n’est plus approprié.
Car, d’évidence, quand il devient un élément d’une stratégie managériale, autrement dit, s’inscrit dans un plan d’action qui n’a d’autre but que de prendre un pouvoir et le conserver, il se mue alors en dénigrement et en médisances orchestrés pour faire mal et obtenir un avantage.
Passons sur les situations que cela recouvre, elles vont de pair avec un management toxique dont on a déjà parlé.
Quelles sont les conséquences pour l’entreprise d’une cancanophilie généralisée ?
Par cancanophilie, mot dont nous revendiquons la paternité, nous entendons prendre en compte tous les aspects comportementaux que nous venons d’évoquer.
Et pour ce qui est des conséquences, nous voulons aller un peu plus loin que les quelques avantages ou désavantages sommairement décrits dans les paragraphes précédents.
Conséquences sur le climat de l’entreprise
Bien évidemment, il ne s’agit pas de la température moyenne régnant dans les locaux de l’entreprise, mais de climat social. L’affaire est tellement cruciale qu’elle a motivé une multitude d’études et généré des indicateurs de climat social en pagaille.
On le sait maintenant avec certitude, le climat social impacte considérablement la performance d’une entreprise. Et de ce point de vue, c’est un élément clé du facteur K.
Au-delà des cancans qui en sont l’expression la plus pure, mais pas toujours facile à interpréter, on peut chercher à en mesurer objectivement l’importance et les effets en ayant recours à différentes méthodes.
Une des plus utilisées est le eNPS. Autrement dit, le « employee Net Promoter Score ». En clair, on demande carrément aux salariés d’une entreprise s’ils sont contents d’y travailler et surtout s’ils sont prêts à la recommander à d’autres.
On peut y ajouter ce qui ressort des entretiens annuels d’appréciation. Tout cela, pour la mesure du phénomène. Reste à en dresser les corrélations.
Celles qui, en général, font mal parce qu’elles pointent directement sur des dysfonctionnements en termes de « turn over« , absentéisme, accidents du travail, congés maladie, etc.
Le bilan social, qui est une obligation légale depuis 1977 pour les entreprises de plus de 300 salariés est, à cet égard, une mine d’informations. Pas seulement sociales, d’ailleurs.
D’autant qu’avec le temps, on peut mesurer aussi des évolutions qui peuvent être très instructives.
A noter que dans les entreprises de 50 à 300 salariés, on a, en lieu et place du Bilan social proprement dit, la BDESE, pour Base de Données Economiques, Sociales et Environnementales, et pour les moins de 50 salariés, le BSI, pour Bilan Social Individuel. Ce dernier n’est pas obligatoire.
Remise en question des valeurs de l’entreprise
D’une manière générale, il y a les valeurs de l’entreprise telles qu’elle les revendique et telles qu’elle les construit. La formalisation de ces valeurs est un processus complexe.
Pour qu’il puisse rendre tout ce qu’il peut rendre, il n’est pas inutile de se faire accompagner. C’est une des spécificités de l’offre de service d’af-franck lidar consulting. On y gagne du temps et de l’argent, comme il se doit.
Mais, quand on n’y prête pas attention, une culture d’entreprise, censée afficher ces valeurs, peut « déraper grave ». Il y a ce qu’on dit, ce qu’on écrit et ce qu’on fait.
O,r une cancanophilie exacerbée a, sur ce plan, un double effet très pernicieux. D’une part, elle dessine en creux ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, et d’autre part, elle suscite une méfiance généralisée quand les valeurs « en creux » sont à l’opposé des valeurs affichées.
En clair, prétendre, par exemple, que la bienveillance est une valeur clef de l’entreprise alors que le sport favori de son personnel, à tout niveau, est de cancaner à tout va, c’est quasiment se mettre en situation d’une double peine.
La première, c’est ce qui résulte du cancan lui-même, en termes, notamment de « brooding« , la seconde, c’est le discrédit jeté sur les valeurs de l’entreprise et leur inopérabilité finale. Bonjour les coûts, directs et indirects ! Naturellement faramineux !
Et surtout, si on ne fait rien, plus la peine, pour le coup, de parler de haute performance et de mettre en place un système d’incitations, ou de menaces, que tout le monde finit par vomir. Bref, l’impasse.
C’est à ce stade que l’utilisation de l’expression facteur K peut devenir le symbole du ralliement, comme le panache blanc d’Henri IV, à une kyrielle de nouvelles façons d’agir, toutes orientées dans la même direction, comme des limailles de fer soumises à l’attraction d’un aimant.
Le facteur K est-il l’expression d’une cancanophobie ?
Comme on a inventé la cancanophilie, il est logique d’inventer son contraire et d’employer pour cela le mot de cancanophobie. La question qui se pose alors est de savoir si, au vu des conséquences résultant d’une cancanophilie sans limites, le facteur K n’est pas forcément l’expression d’une cancanophobie.
Et si c’est le cas, il faut alors se demander quelles formes va pouvoir prendre cette expression. Rappelons pour examiner ces deux points que le facteur K est le facteur immatériel qui synthétise toutes les bonnes pratiques, essentiellement comportementales et mentales, voire philosophiques ou spirituelles, qui favorisent la haute performance.
Le facteur K est intrinsèquement cancanophobe
Bien que la cancanophilie puisse être créatrice de lien et que la création de lien fasse partie de l’essence du facteur K , il y a cependant lien et lien.
Les liens fondés sur la médisance ne peuvent être que de mauvaise qualité et à terme ne peuvent que jouer des tours à ceux qui s’y livrent et tant qu’à faire à l’entreprise où ils paradent.
De fait, ceux qui en usent et en abusent ne peuvent rien construire de durable sur un tel socle. A la première occasion, ils sont eux aussi victimes de médisances par ceux là même qui les ont si bien accueillies auparavant.
Par suite, facteur K et cancanophilie sont incompatibles. En effet, quand on privilégie le facteur K, on privilégie un certain état d’esprit que l’on veut durable et constructif.
La cancanophobie du facteur K se manifeste au moins de deux manières : par le respect et par la séparation de la sphère privée et de la sphère professionnelle.
Quelle séparation entre la sphère privée et la sphère professionnelle ?
Elle n’est pas toujours facile à réaliser. Pour une simple et bonne raison, ce qui se passe dans l’une a forcément une résonance dans l’autre. De plus, l’étanchéité entre l’une et l’autre ne peut pas être parfaite.
Pour autant, mêler les affects générés par l’une aux affects générés par l’autre ne fait jamais bon ménage. En général, le résultat est une dégradation de la situation dans l’une et dans l’autre.
Côté professionnel, c’est la porte ouverte à une foultitude de cancans.
Faut-il alors s’arc-bouter sur un « black out » total en ce qui concerne sa vie en dehors de l’entreprise ? Peut-être pas, mais sur une attitude discrète et réservée, sûrement.
En effet, nul n’a besoin de connaître les détails de sa dernière sortie en boîte ou ceux de sa dernière querelle avec son conjoint ou sa belle-mère. Il y a de fortes chances pour que, finalement, les rieurs, ou les soutiens, ne soient pas du bon côté, c’est-à-dire le sien.
Mais, bon, autre exemple, si décidément on en veut à Germain d’avoir réussi à obtenir une promotion qu’on juge imméritée, on peut toujours se « lâcher » chez soi plutôt qu’autour de la machine à café.
Au moins le cancan ne risque pas de franchir les portes de l’entreprise et, tant qu’il en est ainsi, il n’existe pas.
De ce fait, personne ne sera en mesure de rapporter, à sa manière et pas forcément avec de bonnes intentions, le propos que l’aura tenu à cet égard. Ce qui ne peut que donner encore plus de nocivité au cancan.
En résumé, ce qu’on dit ou ce qu’on ne dit pas en entreprise de ce qu’on y ressent ou de ce qu’on ressent chez soi doit faire l’objet de la plus grande circonspection. Il y a en tout cas des sujets sur lesquels il vaut mieux évité d’être spontané.
Ou du moins sur lesquels on ne plaisante pas. Somme toute, rien de plus normal.
Et si on veut en savoir plus sur le rôle bienfaisant de ce qui n’est, au fond, que de l’hypocrisie, mais pour la bonne cause, ce qui la rachète, on peut toujours se référer au livre d’Olivier Babeau, intitulé « Eloge de l’hypocrisie » paru aux éditions du Cerf, en 2018.
Olivier Babeau est universitaire, consultant, essayiste et co-fondateur de l’institut Sapiens.
Si malgré ces considérations on a quelque difficulté à s’y retrouver, on peut aussi s’en tenir, tout simplement, à une attitude de respect en toute circonstance.
De quoi s’agit-il exactement ?
Le respect, fer de lance du facteur K au quotidien
Le respect n’est pas constitutif de tout le facteur K, mais il en est indiscutablement un de ses principaux piliers. Quand on évoque le mot respect, un grand nombre d’autres surgissent avec chacun une connotation propre qui l’approfondit et le limite tout à la fois.
Par respect, on peut entendre, par exemple, celui du à une autorité que l’on respecte, celui se traduisant par le souci d’accomplir la mission qu’on a reçue avec intégrité, ou encore, celui impliquant de se comporter avec politesse et courtoisie.
Bien d’autres aspects peuvent être reliés à la notion de respect, mais ces trois là en recouvrent une bonne partie.
Tout d’abord, c’est quoi une autorité qu’on respecte ?
Sans entrer dans les détails de ce que représente la notion d’autorité, disons simplement qu’elle n’est pas nécessairement liée à une position hiérarchique. Elle est plutôt largement fondée sur la notion de compétence légitimée par l’expérience.
Accomplir sa mission avec intégrité
En général, on en en parle beaucoup et généreusement, mais on est bien peu prêt à le faire en réalité. Pourquoi ? Parce qu’agir avec intégrité est exigeant. Du moins, en apparence.
En effet, les occasions de prendre les chemins de traverse plutôt que la ligne droite sont innombrables. Sans prendre de grand risque, on peut dire que la cancanophilie y incite naturellement.
Reprenons l’exemple de Rémi et de ses acolytes :
– Tu as bien raison Martine, poursuit Isabelle avec sa petite voix flutée, pourquoi lui et pas nous ? Si une promotion, ça ne tient qu’à ça, on n’a qu’à tous s’y mettre ! précise-t-elle avec un sourire en coin.
Notons que le petit groupe ne sait strictement rien des conditions réelles de la promotion de Germain, mais qu’ à partir de ce qu’il en présuppose, il est prêt à bâtir, comme l’exprime si bien Isabelle, toute une stratégie toxique pour en bénéficier à son tour.
Rien de tout cela ne peut se mettre en branle si on respecte sa mission et l’éthique dont elle est normalement porteuse.
Le respect au quotidien, c’est la politesse et la courtoisie
Ce n’est pas parce qu’on occupe une position élevée ou qu’on revendique une particularité d’un genre ou d’un autre qu’on est autorisé à se montrer impoli de toutes les façons possibles telles que, au choix :
Ne saluer personne en arrivant sur son lieu de travail, sortir son portable de sa poche à tout propos, et surtout hors de propos, imposer à son entourage une hygiène approximative, arriver systématiquement en retard en réunion, etc.
On arrête là la liste des discourtoisies et des impolitesses au quotidien, mais elle est, à l’heure actuelle, de plus en plus longue. Or, faire preuve de politesse, ce n’est pas porter atteinte à sa sacro sainte liberté individuelle.
C’est d’abord se respecter soi-même en n’imposant pas aux autres des attitudes et des comportements inappropriés et en ne voulant pas être soi-même l’objet de ceux-ci.
Lesquels, en bref, non seulement, ne sont pas uniquement ceux définis par la loi et la jurisprudence, mais sont indiscutablement générateurs d’un « sale » climat.
Ce qu’il faut retenir
Il est bien difficile de ne pas cancaner à un moment ou à autre. Cela dit, cancaner est rarement neutre. Surtout quand le cancan se transforme en médisance et en vient à alimenter une campagne de dénigrement.
Comme on ne peut jamais savoir à partir de quel moment un cancan « inoffensif » se transforme en volonté assumée de nuire, mieux vaut s’en méfier. D’autant qu’une chose est certaine, les cancans constituent un incomparable terreau pour entretenir ou développer un management toxique.
Si on est sensible aux effets que peut avoir le facteur K , vu comme l’emblème de toutes les bonnes pratiques comportementales et des pensées conduisant à la haute performance, on ne peut que chercher à limiter autant que possible le terrain de chasse, ou de jeu, des cancaniers de tout poil.
Pour finir, on peut méditer avec profit sur ce proverbe magyar selon lequel :
La médisance peut allumer un grand feu