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Le modèle entrepreneurial doit-il rester au Cœur de nos sociétés ?

Pour un certain nombre d’auteurs, l’entreprise est un acteur majeur de l’évolution de nos sociétés. Sa capacité d’innovation, son souci de la performance en font un facteur de progrès qui peut sembler irremplaçable. A tel point d’ailleurs qu’on peut être tenté de penser que le modèle entrepreneurial vaut pour toutes les activités humaines.

Cependant, depuis quelque temps son fonctionnement prend des allures manifestement totalitaires. Ce qui oblige naturellement à revisiter son rôle. Peut-être convient-il alors de le réinscrire dans un schéma où le manager est réellement un manager et le domaine d’intervention de son entreprise, un domaine limité.

Qui trop embrasse, mal étreint dit un proverbe populaire.

Un modèle entrepreneurial incontournable, vraiment ?

Un bloc idéologique et théorique apparemment sans faille

Depuis plusieurs décennies, il est acté que l’entreprise et le marché sont les deux moteurs essentiels d’une saine économie . La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’ex Union soviétique ont sonné le glas de toute autre forme d’organisation ou modèle social.

Le prix Nobel de l’économie attribué à Ronald Coase (1910-2013), le père du théorème éponyme, entre autres, et l’évolution institutionnelle de l’Europe, du marché commun à l’union européenne sont les signes les plus évidents de la supériorité supposée du modèle entrepreneurial.

Essor du Blob management

Le problème, c’est que la réalité contemporaine tend chaque jour davantage à remettre en cause, de plus en plus fortement, le bloc idéologique et théorique que l’on croyait définitif sur lequel ce modèle entrepreneurial est assis.

Avec Francis Fukuyama, auteur de « La fin de l’histoire et le dernier homme », publié en 1992, on a même cru, un instant avoir trouvé la martingale.

Or, rien ne va plus dans le meilleur des mondes des économies libérales. Elles sont, en réalité, de plus en plus soumises à l’essor de ce que nous avons appelé le Blob management.

Les forces à l’oeuvre

Deux grands facteurs peuvent expliquer cet essor indubitablement disruptif. Pour comprendre le premier, il faut faire un détour par la loi des trois états d‘Auguste Comte. Il l’a notamment développée dans ses « Leçons de philosophie positive« .

Pour ce qui est du second, ce sont les effets, proches de la sidération, de l’émergence de l’Intelligence Artificielle dont il faut mesurer l’ampleur.

Un management positiviste qui n’est pas encore né

Si on suit Auguste Compte et sa loi des trois états, nous sommes actuellement en train de passer du second état, marqué par un management métaphysique, au troisième état, vrai Graal et naturellement positiviste.

Dans son livre « La comédie Inhumaine », Julia de Funès et Nicolas Bouzou définissent le management métaphysique de la manière suivante:

C’est celui où, disent-ils, les grandes abstractions ont pris le pouvoir. Cet âge nous semble obsolète, à supposer qu’il ait été autre chose. Pour être plus efficaces, ajoutent-ils, les entreprises doivent abandonner l’autoritarisme de l’époque du management paternaliste et la métaphysique du management contemporain, empreints de généralités, de bons sentiments et de grands concepts, leadership, intelligence collective, bienveillance, transparence, etc.

La comédie Inhumaine, éditions J’ai Lu, p.36

Pour aller vers quoi ? Mais, vers le management positif, bien sûr ! Ah oui, vers les « trucs » de pensée positive ! Que nenni, scrogneuneu ! Que disent nos auteurs adeptes de philosophie comtienne :

L’esprit positif au sens philosophique, celui qui correspond à l’âge adulte de l’humanité, ne doit plus chercher les causes premières auxquelles il n’a pas accès, mais identifier les lois effectives gouvernant les phénomènes. (…) Il faut alors entendre par positif ce qui est utile, réel, concret, par opposition à ce qui est seulement abstrait et conceptuel.

ibid. p.37

Destruction des emplois par l’Intelligence Artificielle

On veut bien le croire. En attendant, il faut faire avec ce qu’on a. Et de ce point de vue, rien ne va plus. La destruction constructive schumpétérienne s’attaque aux emplois même les plus qualifiés.

Ce ne sont plus seulement les emplois de caissière de supermarché qui sont menacés, mais aussi aussi ceux de consultants bardés de diplômes.

Dans son livre intitulé « Le management totalitaire« , Violaine des Courières, en donne un exemple. Elle raconte comment un nouveau logiciel ultra performant adopté par un cabinet de chasseur de têtes, en transforme les têtes d’œuf en zombies.

Tous très diplômes en général et aguerris par plusieurs années d’expérience, les chasseurs de têtes de ce cabinet parisien se retrouvent brutalement paramétrés comme des machines. Leurs interventions se bornent à serrer machinalement des mains, poser les questions prédéfinies par le logiciel, puis remplir les fiches d’évaluation. Expropriés de leur savoir intellectuel, beaucoup de cadres s’étonnent. Pourquoi sont-ils traités comme des machines ?

Le management totalitaire, Violaine des Courières, éditions Albin Michel, 2022, p.56

Leur étonnement étonne. Peut-on se contenter de ce seul constat ? Certes non, car c’est assurément donner carte blanche au Blob management. Comme Balamer, le cheval d’Attila, là où il passe, l’herbe ne repousse pas.

Quelles alternatives au Blob management et au modèle entrepreneurial tout azimut?

Elles se situent, selon nous, à deux niveaux. Le premier est d’ordre idéologique, le second est lié à l’art de diriger.

Repenser le fonctionnement de l’entreprise

Et si contrairement à ce qu’ont pu dire les libéraux de l’Ecole de Chicago, l’entreprise et le marché, en bref, le modèle entrepreneurial, n’étaient pas l’alpha et l’oméga de toute organisation sociale.

Et si on se disait qu’au moins les formes prises par le capitalisme rhénan valent mieux que celles du capitalisme anglo-saxon ? Que ses formes plus équilibrées permettent d’éviter les dérives monétaristes et comptables du second ?

Qu’en somme, à la dictature du court terme et des cours boursiers, on peut enfin substituer une vision à long terme de l’activité entrepreneuriale ?

Avec le capitalisme rhénan, le cadre est toujours libéral, mais l’ordre des priorités est déterminé par le choix des investissements de long terme et la préservation de la qualité des relations sociales, et non par les rendements à court terme.

C’est une première approche. Mais, on peut encore aller plus loin, sans pour autant revisiter des formes socialement obsolètes. On peut notamment remonter à une des sources du capitalisme rhénan, le caméralisme.

De ce point de vue, qui a fait ses preuves, on n’attend plus du modèle entrepreneurial qu’il veille à tout et se mêle de tout, mais qu’il contribue avec d’autres forces au bien être commun.

Repenser le rôle du manager

Manager est un art. Il ne peut se résumer à n’être qu’une courroie de transmission entre des actionnaires toujours plus avides et des employés, qualifiés de ressources humaines, de même nature finalement que les autres intrants nécessaires pour réaliser n’importe quelle production.

Loin de n’être une courroie, le manager qui entend assumer pleinement on rôle de direction est comme la tête d’un corps humain. Cette conception renvoie à un imaginaire tel que le décrit un historien comme Didier Lefur :

Dans l’imaginaire médiéval, écrit-il, l’organisme politique prenait souvent la forme d’un corps humain. Le roi formait la tête de ce corps, les nobles les mains ou les bras et le peuple le ventre, les jambes et les pieds. Nul ne pouvait disparaître sans provoquer le dérèglement du mécanisme. Le prince, tête de ce corps, était perçu comme le principe vital de l’ensemble. La santé du corps politique était avant tout déterminée par la bonne santé ou le bon fonctionnement de la tête.

Loin de nous l’idée de revenir au Moyen âge, mais rien n’empêche de reprendre l’analogie entre le corps humain et le corps politique.

Si on considère que chaque entreprise est à sa manière un corps politique, on comprend qu’une défaillance au niveau de sa « tête » répercutée à la tête de chacune de ses divisions puisse être extrêmement nocive.

Cette défaillance, c’est celle qu’entraîne tout Blob management. C’est celle qui se manifeste par la concrétisation et l’accumulation des risques psycho sociaux (RPS).

C’est celle, enfin, que fait prospérer une orientation générale de l’entreprise uniquement centrée sur la maximisation des profits à court terme.

Pour y remédier, il convient de s’en écarter et de repenser le rôle du manager de telle façon qu’il ménage son personnel plutôt que ses feuillets Excel. Il en sera largement payé de retour, au-delà même de ses espérances.

Aucun modèle politique, économique et social n’est définitif

Seule l’efficience donne de la longévité à un modèle politique, économique et social. Quand cette efficience n’est plus au rendez-vous pour des raisons souvent inédites, le modèle peine inévitablement à perdurer.

Après plusieurs décennies d’une relative stabilité des piliers du modèle entrepreneurial que nous connaissons aujourd’hui, ceux-ci sont en train d’être sérieusement ébranlés, notamment, par le choc des civilisations, de nouveaux équilibres géopolitiques et la croissance exponentielle de l’intelligence artificielle.

Pour faire face à cet ébranlement et y survivre, les entreprises devront davantage réfléchir à leur périmètre et prendre davantage soin leurs personnels.

Ce qui ne peut se faire, notamment, qu’en réapprenant à les considérer comme des êtres humains sur qui elles peuvent compter, grâce à leur engagement, plutôt que comme des ressources ou des variables d’ajustement que l’on fait varier au gré des circonstances et de profits à court terme.

C’est l’idée qui sous tend ce que nous avons appelé le facteur K, principe de base du K management.

En résumé, comme l’a écrit Charles Handy :

L’entreprise ne peut exiger la loyauté de ses salariés : elle doit la mériter.

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