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Vertus du k-Manager

Vertu, le mot est ancien. On le reprend ici pour son double sens. Celui de qualités bonnes et souhaitables et celui de force et de courage. Ces deux aspects d’une même pièce mettent l’accent sur l’essentiel de ce qui fait un K-Manager : ses qualités humaines. Autrement dit, les qualités qui dépendent uniquement de ce qu’il est, pas de ce qu’il a.

 

Le K-Manager, un puissant facteur de flexibilité managériale

 

Du management guerrier au management flexible

Il fut un temps où le manager était ce rouage clef de toute organisation qu’il était impensable de prétendre voir son rôle différemment et qu’il ne pouvait être que question de le façonner au mieux des intérêts de celle-ci.

 

Dans ce contexte, le choix d’une organisation optimale était ce qui primait avant toute autre chose pour la bonne fin des opérations menées par l’entreprise. Avec une bonne organisation, faisant de l’entreprise une belle mécanique horlogère, ces opérations ne pouvaient être que bénéfiques.

 

Origines du management guerrier

Cet état d’esprit, ou ce contexte entrepreneurial, si on préfère, confère un incontestable avantage dès lors que le management qu’il induit est un management guerrier, tourné vers la conquête des plus grands champs opérationnels possibles. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il ait été mis au point pendant ces moments, les grandes guerres mondiales, où les fureurs de l’Histoire ont exigé de puissants efforts d’organisation.

 

Mais, les temps ont changé. L’expression de ces fureurs, sous la forme notamment d’un choc inédit des civilisations et des cultures, met bien souvent à mal le management hérité des premiers âges managériaux. Il en résulte que l’entreprise en est bien souvent réduite à n’être qu’une sorte de champs clos de batailles et de duels internes incessants.

Pour en sortir, il convient, selon nous, de renverser les perspectives. Ce qui doit d’abord mériter tous les soins, ce n’est plus l’organisation, mais l’organisateur. Ce n’est plus le management, mais le manager.

 

De l’ère des organisateurs à celle des facilitateurs

De ce point de vue, le manager n’est plus un rouage bien à sa place dans une mécanique sophistiquée, mais un facilitateur agissant de manière autonome, animale plutôt qu’horlogère, avec toute la fluidité qui lui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même fixés.

 

Dans son livre « Notre vagabonde liberté », Gaspard Koenig décrit (1) à un moment donné son expérience d’une transhumance d’une vingtaine de chevaux et de poneys paissant en toute liberté au ballon d’Alsace et qu’il est temps de ramener au bercail quelques kilomètres plus bas.

 

« La transhumance est une pagaille. C’est ce qui fait son intérêt. Tout le monde dégringole en tas, à la va-comme-je-te-pousse, et tout le monde se retrouve en bas, des branches dans les crins et des éraflures sur les joues, épuisé et soulagé. Pas de fugueur, pas de blessé, pas de problème. Le miracle se renouvelle chaque fois. »

Et de poursuivre :

 

« Cette gestion des ressources équines pourrait bien s’appliquer à la gestion des ressources humaines. Ne devrait on pas s’inspirer du modèle de la transhumance pour gérer des organisations complexes, administrations ou entreprises ? »

Et de citer Montaigne qui sert de fil conducteur à son périple équestre :

« L’ordre est une vertu morne et sombre. »

 Avant de conclure :

« Vouloir tout ordonner, tout organiser, tout prévoir, représente une perte d’énergie considérable, pour aboutir à des résultats mornes et sombres … Faire une transhumance, c’est imprimer un mouvement global, sans trop se soucier du détail des trajets individuels. Certains vont perdre du temps, d’autres trouver des raccourcis : l’essentiel est que tous se rejoignent à la fin.

Montaigne vante la couture fortuite qui assemble les hommes, comme ce lien invisible qui relie les chevaux d’un troupeau et guide leurs pas. Une telle couture se forme souplement, sans patron, dans la course de la vie en société. »

D’où son questionnement final :

« A quoi sert le chef, le manager ? A tout et à rien, comme Olivier et moi. Qu’il se contente de crier : « Allez, allez, vindieu ! en se fondant dans le troupeau en fusion. »

Cette approche managériale peut être celle d’un K-Manager.

 

Change management ou manager flexible ?

En quoi cette nouvelle approche est-elle préférable à la précédente ? Son avantage se résume en un mot : la flexibilité. C’est cette qualité qui permet au manager de s’adapter à la complexité mouvante du réel de n’importe quel contexte entrepreneurial d’aujourd’hui.

 

Quand plus rien n’est sûr, quand les goûts des consommateurs peuvent changer du jour au lendemain, quand une nouvelle technologie peut rendre obsolète tout un savoir-faire, pourtant bien établi, quand un environnement entrepreneurial peut être bousculé par une nouvelle donne totalement imprévisible d’un monde éclaté, un management gravé dans le marbre se transforme alors en un lourd handicap.  Ne reste plus que son stade ultime : sa transformation en blob management mortifère.

 

Avant de voir quelles sont les qualités d’un manager flexible, rappelons enfin qu’il s’agit bien d’un renversement de perspective qui met le manager au centre du changement et non pas d’un travestissement d’un énième management « old school » en « change management », management agile ou management bienveillant.

 

Autrement dit, un néomanagement ambigu, sujet à une instabilité chronique des structures et en rien comparable aux actions autonomes et facilitatrices conduites par un manager flexible. Bref, un K-Manager.

 

Le K-Manager est un manager bi-dimensionnel

 

Les limites de la mesure du réel

Les qualités d’un K-manager ne sont plus celles qui ont servi de bases à l’établissement d’une organisation scientifique du travail. La mesure de toute chose ajoute à l’incertitude d’un environnement complexe plus qu’elle ne la réduit.

 

Autrement dit, les esprits privilégiant exagérément la dimension mesurable du réel au détriment de ses aspects transcendantaux constituent un incontestable facteur d’inadaptation à sa complexité. Un K-manager est donc un manager bi-dimensionnel sachant équilibrer dans de justes proportions métriques et transcendance.

 

En tout cas, pas un manager pour qui maximiser le profit est l’unique raison d’être d’une entreprise comme l’a dit un jour Carlos Ghosn, l’ex-président de Renault-Nissan.

 

C’est quoi la transcendance ?

Qu’est-ce que la transcendance ? On sait ce que c’est que la métrique. Autrement dit, l’art de se servir d’indicateurs en tous genres pour mesurer une performance. Mais, la transcendance ?

 

L’habitude a été prise de ne considérer comme réel que ce qui est mesurable. D’où l’omniprésence de la métrique. Et si on ne peut pas mesurer ce réel maintenant, faute d’instrument adéquat, on est certain de pouvoir le faire plus tard grâce aux inévitables progrès à venir des instruments de mesure.

 

Ce qui ne peut faire l’objet d’une expérimentation mesurable et reproductible

Cette habitude née avec les philosophes des Lumières, c’est d’ailleurs pour ça qu’on leur a donné ce nom, a le mérite d’exclure rigoureusement de l’attention que l’on peut porter aux choses tout ce qui ne peut faire l’objet d’une expérimentation mesurable et reproductible.

 

C’est bien commode et c’est ce qui définit l’esprit scientifique. Nul besoin donc de s’embarquer dans des spéculations fumeuses sur ce que personne ne peut vérifier.

 

On gagne du temps et en se concentrant avec méthode sur ce qu’on peut expérimenter on peut trouver un tas de trucs pratiques. C’est comme ça que s’est développée notre civilisation industrielle et qu’elle continue à le faire. Chaque nouvelle découverte en entrainant d’autres.

 

Quelque chose qui ne rapporte rien

Le succès de cette approche a tellement été phénoménal que tout ce qui de près ou de loin n’a pas un caractère scientifique est jugé peu digne d’intérêt et au mieux, du domaine du divertissement ou des loisirs.

 

Ainsi de la littérature, de la philosophie, des beaux-arts, de la musique, grosso modo tout ce qu’ autrefois on nommait les humanités et, bien sûr, de la religion. Les unes et les autres ne retrouvent un peu de considération que si elles sont scientifiques.

 

Un réel qui pourtant existe et a des effets concrets

Est-ce pour autant que la transcendance a complètement disparu ? Eh bien non ! Le réel même bien mesuré reste obstinément incomplet et ne peut être atteint dans ses autres parties, que l’on pressent plus qu’on ne voit, que par des voies bien peu scientifiques, mais on ne peut plus réelles, elles aussi.

 

Les synchronicités, ces coïncidences qui n’en sont pas vraiment, en sont la marque la plus évidente. Les intuitions venues apparemment de nulle part et auxquelles ne mène aucun raisonnement en sont une autre. Cela pour le commun des mortels.

 

Mais, on peut faire plus fort. On peut aussi y ajouter tous ces phénomènes extra ordinaires que la science ne peut expliquer et qui pourtant ont bien eu lieu.

 

Pour ce qui est de ces phénomènes qui entrent dans la catégorie des phénomènes mystiques on peut faire confiance à un auteur comme, par exemple, Joachim Bouflet qui s’est efforcé de séparer le bon grain de l’ivraie et a pu établir une encyclopédie des phénomènes extraordinaires en trois tomes de plus de mille pages tout en étudiant des cas particuliers comme celui de Mariam Baouardy (1846-1878), connue sous son nom en religion de sœur Marie de Jésus Crucifié. Lévitations, Réverbérations, Prophéties, Possessions, Bilocations, stigmates, émaillent, d’après cet auteur, sa courte existence (2).

 

Ce que ces phénomènes, qui ne peuvent apparemment être niés, nous disent, c’est que tout le réel ne peut être contenu dans une éprouvette et qu’ils sont une manifestation concrète de l’existence d’une réalité transcendantale.

 

Raison pour laquelle des managers chevronnés comme François Langlade-Demoyen ont fait de ce réel insaisissable une règle prudentielle de vie.

 

Le besoin d’une vie réconciliée

François Langlade-Demoyen est Managing Director de la Soparexco, quand il prend la plume aux côtés de huit autres auteurs pour contribuer au « supplément philosophique à l’intention des managers (2) » piloté par le cabinet Aperlead.

 

 Le cabinet s’est spécialisé dans l’approche directe et le management de transition. A partir des nombreux profils managériaux, fortement impliqués par goût personnel dans la recherche philosophique, qu’il a pu observer en 25 ans de carrière, son directeur, Xavier Tandonnet, a cherché à conceptualiser ce qui en faisait l’originalité et l’intérêt pour une pratique managériale renouvelée.

 

C’est dans le cadre de cet effort de conceptualisation que sont nés le supplément philosophique et la création du réseau Philosophobiz.

 

Contexte entrepreneurial de François Langlade -Demoyen

La Soparexco est la holding qui gère les actifs diversifiés de Corinne Mentzepoulos (1953 -) qui en font une des femmes les plus riches de France. Propriétaire d’un patrimoine immobilier conséquent, elle l’est également, entre autres, de Château Margaux, premier grand cru classé de Bordeaux.

 

Elle doit sa fortune, à son père André Mentzepoulos (1915 – 1980), marchand d’armes dans les années 50-60, puis propriétaire, à partir de 1958, jusqu’à qu’elle soit revendue par sa fille en 1983, de l’enseigne Felix Potin qui devait péricliter par la suite jusqu’à sa quasi disparition à la fin des années 90. Aujourd’hui, c’est une des 65 filiales du groupe de distribution alimentaire France Frais.

 

Avant de prendre en charge le family office de la Soparexco, François Langlade-Demoyen s’est fait un nom dans la finance internationale et les opérations de LMBO. Il y conserve d’ailleurs des intérêts personnels dans le cadre de Langlade Capital Advisors Ltd. Diplômé de l’Essec et de Paris Dauphine, il a aussi un doctorat en philosophie de Paris 1 Panthéon -Sorbonne.

 

Il débute sa contribution dans le supplément philosophique par l’histoire de sa rencontre avec le père Bernard Bro. Au moment de sa rencontre avec lui, titulaire de trois diplômes prestigieux, il n’était plus très sûr de ce qu’il voulait faire :

 

« Je me souviens d’un jour, écrit-il, où, au cours d’un stage dans une célèbre banque, je me posai sérieusement la question de devenir brancardier à Lourdes. » (3)

 

L’influence du père Bernard Bro

Le père Bernard Bro (1925 – 2018), dont il n’avait pas idée de la notoriété, l’auteur entre autres de « La beauté sauvera le monde » (4) et de « Les Paraboles » (5), spécialiste mondial de la vie de Sainte Thérèse de Lisieux, saura lui ouvrir les yeux en l’aidant à saisir le sens de la parabole des Talents.

 

C’est cette intervention décisive qui l’a conduit sur le droit chemin celui de la vie réconciliée. Autrement dit, celui où les nécessités pratiques ne font pas oublier la satisfaction des besoins spirituels et la conjonction des unes et des autres dans la gratuité du don. 

 

« Le gain pour le don nous procure ce supplément d’âme qui nous relie à quelque chose de plus grand que soi. » Ecrit-il joliment (6).

Ce n’est évidemment pas facile et les occasions de partir « dans le décor » ne manquent pas. Surtout quand on se trouve dans une structure conduite par des dirigeants pour lesquels maximiser le profit est l’unique raison d’être d’une entreprise.

 

Quoi qu’il en soit, telle est bien la voie, celle qui permet de réussir sa vie. Car nous dit François Langlade-Demoyen, cela n’est possible qu’en se réconciliant avec soi-même, puis avec le monde.

 

Une réconciliation avec soi-même productive de valeur

L’ordre des choses est important. Après coup, l’entreprise a, en effet, tout à y gagner, car la joie suscitée par la réconciliation avec soi -même est éminemment productive de valeur.

 

François Langlade-Demoyen dit encore :

« Nietzsche glorifiait la joie de vivre parce qu’elle est pur mouvement de l’être, qui, touche au fondement de la vie même.  La joie est plus forte que les illusions et elle pèse plus que le chagrin. Travailler et créer sont un hommage au fait d’exister, une conscience professionnelle du vivant mis en joie. L’entreprise a besoin de gens joyeux et ce sont eux qui réussissent le mieux. Ils nous entrainent dans leur chorale, ils sont solaires. » (7)

En bref, un K-Manager est un manager qui a appris à marcher véritablement sur ses deux jambes, la jambe intérieure et la jambe extérieure. La jambe de la transcendance assumée, réfléchie et la jambe de l’action droite, réfléchissant la conscience que l’on a d’une existence limitée dans le temps et d’un possible après, si on comprend bien François Langlade Demoyen.

 

Sans doute. Peut-être. Mais, quoi qu’il en soit, on peut ajouter que l’acceptation d’un réel transcendant facilite, en tout cas, l’accès à cette vertu cardinale centrale qu’est la prudence. Or cette vertu bien comprise constitue assurément un pôle autour duquel peut s’enrouler tout un ensemble de pratiques managériales manifestant une action droite.

 

La vertu de prudence

Ce que la vertu de prudence n’est pas et ce qu’elle est

Débarrassons-nous d’emblée de ce qui est, selon nous, un contre sens. La vertu de prudence n’est pas assimilable à la fausse protection dont veulent s’envelopper les prosélytes du principe de précaution. A moins que ce ne soit, plus sournoisement, qu’une façon de profiter de la peur qui ne manque jamais de l’accompagner pour s’arroger quelque pouvoir en passant.

 

La vertu de prudence est, en fait et à l’inverse, gage de liberté. Le sentiment de liberté qu’elle suscite, dès lors qu’on a fait tout ce qu’on devait faire pour être sûr de soi, est du même ordre, bien que sur un mode mineur, que le sentiment de libération qui peut sourdre de la foi en plus grand que soi et de la confiance que celle-ci donne sans compter.

 

La vertu de prudence est la quintessence des vertus cardinales. Elle les résume toutes. Elle exprime, d’elle-même, à la fois la tempérance, la justice et la force.

 

Une quintessence des vertus cardinales de tempérance, de justice et de force

La tempérance n’exclut pas la passion, mais elle empêche qu’elle devienne dévorante et destructrice. Rien de bon ne peut sortir de décisions prises sous son emprise. La prudence incite au report et à la délibération.

 

La justice ne doit pas être confondue avec une impossible égalité. Dans la maison de la Justice résident deux mots : le mot Juste et sa compagne, la Justesse. Ce qui fait la justesse d’une décision, c’est sa capacité à être conforme à ce qui doit être, à ce qui ne remet pas en cause l’ordre du monde.

 

C’est de cet ordre et de ce qu’il implique dont parle de manière immanente la pièce Antigone, écrite par le tragédien grec Sophocle, il y a de cela près de 2400 ans. L’application d’une loi contingente peut-elle, doit-elle, effacer, entre autres, le respect dû aux morts ? Telle est la question posée.

 

Reste la dernière vertu, la force. Être prudent, ce n’est pas être tiède. Il faut être fort pour résister aux pressions qui poussent à agir dans un sens contraire à la prudence et à ce qu’elle suppose de clairvoyance, de modération et de justice. Et il faut être encore fort pour tenir le cap qu’on s’est fixé après mûre réflexion et longue délibération. Cette force ne peut venir que de très haut. En bref, du sentiment qu’il y a quelque chose de plus grand que soi et aux « yeux » duquel on ne peut faillir.

 

S’inspirant de la Somme Théologique de Thomas d’Aquin, Maximilien Ruget, DRH chez Hermès, écrit :

« Pour conclure, il nous apparait essentiel de retrouver la compréhension originelle de la vertu cardinale de prudence. Dans la prise de décision du manager, elle sera sa meilleure amie, lui procurant sérénité, assurance et confiance dans les choix qu’il devra prendre. Qu’elle le conduise à une politique de petits pas ou à de franches réalisations, la décision sera la bonne pour la situation concernée puisqu’elle aura été ajustée à cette vertu. » (8)

 

La e-réputation à l’aune de la vertu de prudence

Le monde de l’entreprise étant devenu ce qu’il est, à l’image de bien d’autres institutions, c’est-à-dire de plus en plus largement dominé par les effets délétères et dévastateurs d’un management dominé par le blobisme, tout manager qui s’engage, même prudemment, sur une voie qui peut paraître singulière s’expose aux conséquences de la malveillance.

 

Est-il bien prudent de s’engager sur une voie qui apparait singulière aux yeux de tous ?

Cette malveillance est consubstantielle au blob management, c’est à quoi d’ailleurs on le reconnait. D’une manière générale, elle est orchestrée par les adversaires de celui qui s’engage et elle est amplifiée par le tam-tam numérique.

 

A tel point qu’au royaume des fous, il peut sembler sage et raisonnable d’adopter les mêmes comportements et de ne pas s’engager. D’ignorer, en bref, le rôle institutionnel que peut jouer l’entreprise et d’en rester à une raison d’être réduite à la maximisation du profit.

 

Dans son éloge de la folie, datant de 1511, Erasme a dit tout ce qu’il y avait à savoir sur le sujet. Tout y est contemporain. Seules les têtes d’affiche ont changé.

 

Le sparadrap du capitaine Haddock

 

Que se passe-t-il quand on passe outre ?

Le fait est que lorsqu’on passe outre, , comme ce brave capitaine Haddock qui a bien du mal à se débarrasser d’un disgracieux sparadrap qui lui colle à la peau quoi qu’il fasse, le malheureux manager pris au piège de cette malveillance, somme toute bien ordinaire, peut en être encombré plus que de raison.

 

Alors que faire pour se débarrasser du « sparadrap », notamment numérique, et retrouver sa liberté de mouvement et de pensée ?

 

Face à des propos qu’on juge injustes, la première réaction est de vouloir à tout prix les effacer. Logique. Surtout quand ces propos trainent indéfiniment sur le net, mais pas forcément approprié.

 

De multiples offres de service proposent désormais de remédier sans délai à la dite injustice. Leur existence souligne la réalité du problème posé et sa permanence. Voire son développement. On peut y être d’autant plus sensible que le recours au droit à l’effacement ouvert par les moteurs de recherche peut paraître très fastidieux à mettre en œuvre par soi-même.

 

Cependant, avant d’aller plus loin, il n’est pas inutile de se poser la question de savoir si l’enjeu en vaut vraiment la chandelle.

 

Comment évaluer le problème ?

Pour cela, il faut commencer par se demander à quoi on est réellement exposé. Prenons le cas d’un propos très critique sur un ensemble d’actions dont la personne visée a été le promoteur et dont le résumé se retrouve en première page Google chaque fois qu’une requête est effectuée sur le nom de cette personne. Quelle importance lui accorder réellement ?

 

La valeur de ce qui est rapporté dépend en premier lieu de qui est l’auteur de l’article. S’agit-il d’une personnalité identifiable, indépendante, soucieuse de vérité ?

 

Puis, elle dépend en deuxième lieu de la nature du support utilisé. S’agit-il d’un support sans aucun lien direct avec quelque parti ou quelque intérêt que ce soit ?

 

Et, enfin, en dernier lieu, les faits mis en avant et la manière dont ils sont présentés le sont-ils vraiment avec le souci de faire preuve de la plus grande objectivité ?

 

En général, à la fin de ce processus de questionnement, on constate souvent que le rédacteur est peu connu, voire inconnu s’il se contente de signer son opus par de simples initiales, que le support utilisé est engagé dans une orientation particulière – à cet égard, il est toujours riche d’enseignement de prendre la peine de rechercher qui en est le propriétaire effectif – et que les faits rapportés le sont de manière tronquée et partiale.

 

Comment réduire l’impact numérique d’une malveillance ?

De ce point de vue, les propos ainsi rapportés n’ont la plupart du temps aucune valeur et, n’étaient les traces numériques qu’ils laissent indument, seraient oubliés avant même que l’encre utilisée pour les écrire ne soit sèche. 

 

Cela dit, si l’on en croit Francis Bacon (1561-1626) qui en tant qu’homme d’Etat, mais aussi de pionnier de la méthode expérimentale, à qui on doit la fameuse formule « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. », on peut penser qu’il est difficile d’en rester à ce constat.

 

Un propos calomnieux reste un propos calomnieux. Quoi qu’il en soit. Retour donc, semble-t-il, à notre point de départ et à notre sparadrap haddockien. Certes, mais poursuivons. Qu’en est-il vraiment ?

 

Laisser dire, laisser faire

Si le propos est tenu dans un contexte notoirement politique, qu’il s’agisse d’une lutte pour le pouvoir dans une institution publique ou dans une organisation privée, que les faits mis en exergue n’ont été constitutifs d’aucun réel dommage, on peut considérer qu’en dehors de la cible, proprement dite, on n’y attache vraiment d’importance que très peu de temps.

 

Car, autre élément à prendre en compte, d’autres faits, venus d’ailleurs, visant d’autres cibles ont tôt fait de s’y substituer. Les exemples d’un tel délaissement sont innombrables.

 

Peut-on alors, dans ce cas, en rester là ? Peut-on tout simplement laisser le temps au temps et faire confiance à son pouvoir naturel favorisant l’oubli de toute chose ?

 

Eh bien oui, mais pas totalement. Ah décidément le sparadrap … Car reste toujours, malgré tout, en surplomb une espèce de brume qui, sans être asphyxiante, a pour effet de pouvoir entacher une réputation, de nuire à l’image de celui qui a été la cible des propos calomnieux et donc d’entraver, si peu que ce soit, sa liberté d’action.

 

Continuer à agir sans s’en préoccuper

 

Alors que faire ?

Eh bien tout simplement ce qu’on sait faire de mieux et continuer à avancer avec toute la prudence dont on est capable. A force, d’autres faits répondant mieux aux requêtes « googleliennes » en viendront à réduire à si peu de chose le vieux sparadrap que sa trace finira irrémédiablement par se perdre dans le brouhaha numérique.

 

Attendre l’effet boomerang

Pour conclure sur ce point. Nous revient en mémoire ce mot de Wellington rapporté dans ses mémoires par Chateaubriand, assistant à la visite du célèbre duc, après la bataille de Waterloo, à madame de Récamier qu’il courtisait assidument et s’exclamant d’entrée et, sans s’en rendre compte, plutôt piteusement, « je l’ai bien battu » en parlant de Napoléon.

 

De fait, les articulets ou commentaires qui accompagnent inévitablement tout engagement et se gaussent de ses mécomptes ne valent la plupart du temps guère mieux que ce décompte d’épicier.

 

La belle Juliette, pourtant victime de l’ire napoléonide, dans ses heures de gloire, ne put en supporter la platitude et ferma définitivement la porte de son salon, et par la même occasion, de son cœur, avec tout le panache qui lui était possible et que l’on dit français, au vainqueur de Waterloo qui s’en était rendu coupable. Bel effet boomerang, s’il en est.

 

En résumé, ce qui importe, c’est la justesse des actions entreprises. Pas la manière dont elles peuvent être traitées par ceux qu’elles dérangent d’une manière ou d’une autre.  Et cette justesse, comme ce sens du panache, dépend, en particulier, de ce qui la relie à ce réel transcendant dont il convient de développer le sens plutôt de se laisser impressionner par des grimaces de cour de récréation.

 

Comment développer son sens de la transcendance ?

 

Les deux chemins menant à la transcendance

On peut avoir accès à la transcendance par deux chemins. Le chemin de l’intellect et le chemin de l’intelligence. Le premier est celui qu’empruntent de préférence les esprits qui ont besoin d’être convaincus par le raisonnement et la logique avant d’agir. On ne s’y attardera pas. Il suffit pour en comprendre les règles de se rapporter à quelques maîtres en philosophie. Ils ne manquent pas.

 

Le second est plus subtil. Il demande une aptitude particulière. Celle que confère l’intelligence du cœur. C’est la voie du poète par excellence. C’est celle qui s’adresse à tous ceux qui font confiance à leur intuition pour voir et entendre ce qu’il y a à voir et à entendre au-delà de ce qui est visible.

 

Des lieux propices à l’expérience de la transcendance

Sur ce chemin on ne peut vraiment avancer qu’en se laissant porter, entre autres, par les sensations produites par des lieux naturellement transcendantaux. Dans un pays comme la France, ces lieux sont innombrables. Mais, certains font plus d’impression que d’autres.

 

C’est le cas de quelques-unes des 200 cathédrales qui en constellent le territoire. C’est le cas aussi d’un petit nombre d’abbatiales dont le désert où elles se sont réfugiées a su préserver, presqu’intact, le mystère et la pureté. Ainsi, par exemple, de l’abbatiale de Conques dans l’Aveyron. Territoire au peuplement très ancien dont témoignent ses énigmatiques statues-menhirs.

 

L’exemple de l’abbatiale de Conques

Plus qu’aucun autre de ces lieux transcendantaux, l’abbatiale de Conques a des allures de télescope métaphysique dont il est quasiment impossible d’ignorer les visions célestes.  On ne peut manquer de les percevoir dès que l’on en franchit le seuil. Car lorsqu’on parle de transcendance, c’est bien de ces visions dont il s’agit et de rien d’autre.

 

Alors, comment cela fonctionne-t-il à Conques ?

 

Conques, l’abbatiale de Conques, fait partie depuis le moyen âge des grandes églises de pèlerinage. Comme l’ont été saint Martin de Tours et saint Martial de Limoges. Comme le sont encore Saint-Sernin de Toulouse et, surtout, saint Jacques de Compostelle.

 

Une étape majeure sur le chemin de saint Jacques

D’ailleurs, Conques est une étape incontournable sur le chemin de saint Jacques pour les pèlerins venus du Nord. Ses reliques de sainte Foy et son trésor unique ont réussi à traverser les siècles sans trop d’encombre.

 

Notons que l’histoire de Foy qui se déroule au tout début du IVème siècle à Agen n’est pas sans rappeler celle d’Antigone racontée par Sophocle 700 ans plus tôt. On y trouve la même détermination et la même volonté d’accorder sa conduite à d’autres lois que celles du moment.

 

Si ces reliques ont pu passer les siècles sans encombre irrémédiable, c’est probablement, à cause de la situation géographique de l’abbaye. à l’écart des grandes voies de circulation et grâce à la protection de ses bois et de ses forêts encaissés dans de profondes vallées.

 

Tous ces éléments font de Conques un lieu magique que les chercheurs de transcendance n’auraient garde d’ignorer. En tout cas, Christian Bobin qui lui a consacré tout un livre (9) d’une grande poésie et d’une rare intelligence ne s’y est pas trompé.

 

L’abbatiale de Conques, un grand portail vers la transcendance

« Conques est un village introuvable, nous dit-il, les routes qui y mènent imposent une lenteur dont le monde n’a plus le goût. C’est un village oreille où, je le percevais par la fenêtre laissée entrouverte, les bruits de la vie domestique bondissent en cascade par-dessus les toits enchevêtrés. L’opéra des voix familières, un cliquetis d’assiettes dans une cuisine : le parfait accompagnement pour la vie éternelle. » (10)

« Quelques cubes de pierre du onzième siècle montés comme un jeu d’enfant, avec des vitraux crayonnés de gris. Les pèlerins agglutinés aux pierres chaudes comme des abeilles à une plaque. Un peu de naïveté mais rien de cette modernité dont nous feignons de ne pas savoir qu’elle est la haine de l’intériorité. » (11)

L’époque moderne a complètement défait tout rapport à Dieu. Ce qui n’empêche pas un besoin de spiritualité de s’exprimer et de se manifester par toutes sortes de voies. Certaines de ces voies mènent à la transcendance.

 

Les deux clefs ouvrant le portail de la transcendance à Conques

 Cependant, pour y parvenir il faut des clefs pour en ouvrir la porte qui en défend toujours l’accès. Les histoires bibliques en constituent quelques-unes. A Conques, le tympan du portail occidental vérifie qu’on les possède. Ou plutôt qu’on les possédait, car elles ont été forgées pour un public antique qui n’existe pratiquement plus aujourd’hui.

 

Or grâce à l’art de Pierre Soulages de nouvelles clefs y ont été exposées, ce sont celles que matérialisent les 95 vitraux et les 9 petits panneaux de verre sertis entre les baies de l’abbatiale.

 

Dans un autre livre, intitulé « Souverain du vide », Christian Bobin, rassure ou prévient, c’est selon.

« Dieu, c’est le nom de quelqu’un qui a des milliers de noms. Il s’appelle silence, aurore, personne, lilas, et des tas d’autres noms, mais ce n’est pas possible de les dire tous, une vie entière n’y suffirait pas et c’est pour aller plus vite qu’on a inventé un nom comme celui-là, Dieu, un nom pour dire tous les noms, un nom pour dire quelqu’un qui est partout, sauf dans les églises, les mairies, les écoles et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une maison. » (12)

Cependant, quoique le poète en dise, raison pour laquelle il n’a pu s’en détacher, il n’en va pas de même pour l’abbatiale de Conques. Plus qu’aucun autre édifice, l’abbatiale sainte Foy de Conques facilite, en effet, la rencontre avec ce quelqu’un, grâce au croisement dans ce lieu naturellement sauvage, de sa légende datant du bas empire romain, de son exceptionnelle architecture romane abritant un trésor tout aussi unique et de ses vitraux irréels dus à Pierre Soulages (1919-2022). Un géant de l’art contemporain.

 

Les pèlerins d’aujourd’hui, chrétiens ou athées, qui cheminent sur la via Podiensis, une des voies le plus fréquentées, qui va du Puy en Velay jusqu’à saint Jean Pied de Port pour ensuite rallier saint jacques de Compostelle, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés.

 

Conques en constitue une des principales étapes. En 2022, ils ont constitué une grosse part des plus de 50 000 pèlerins qui se sont lancés cette année-là sur le camino francès.

 

Besoin de transcendance, vertu de prudence, e-réputation, vie réconciliée, autant d’aspects dont la façon dont ils sont traités font ou ne font pas le K-Manager.

 

On est alors en droit de s’interroger sur les conditions à mettre en œuvre pour en faciliter l’émergence. Et par suite, sur ce qu’il convient de mettre dans les programmes de formation qui leur sont destinés. Ce sera le thème d’un prochain post.

 

      • (1) Notre vagabonde liberté, Gaspard Koenig, Pocket, pp.381 et 382

      • (2) Mariam, une sainte arabe pour le monde, Joachim Bouflet, Cerf, 2022

      • (3)Supplément philosophique à l’intention des managers, Aperlead, éditions Eyrolles, 2024

      • (4)La beauté sauvera le monde, Bernard Bro, Cerf, 1990

      • (5) Les Paraboles, Cerf, 2007

      • (6) Supplément philosophique, p. 70

      • (7)Ibid, p.75

      • (8) Ibid, p. 38

      • (9)La nuit du cœur, Christian Bobin, Folio, 2024

      • (10) Ibid. p.17

      • (11) Souveraineté du vide, Christian Bobin, cité par Pierre Magnard, L’herne, 2019, p.32

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