Yvan Rioufol (1952 -), journaliste, chroniqueur, inlassable observateur du monde comme il va depuis des décennies, constate dans une interview donnée à la chaîne You Tube de Epoch Times France, donnée en juin 2024, que nous faisons désormais face à une révolution du réel. Pour nous, ce constat pose la question de savoir si le management apaisé est bien la réponse à lui apporter.
Une révolution du réel caractérisée par l’effondrement d’un monde
Yvan Rioufol pense, en effet, assister à l’effondrement d’un monde. Il n’est pas le seul à le croire. Ces dernières années, les ouvrages, les articles, sur ce thème se sont multipliés.
Mais de quoi parle-t-on au juste ? Et en quoi l’entreprise dont la mission est somme toute de produire des biens et des services et de les vendre en espérant faire le maximum de bénéfices peut-elle se sentir vraiment concernée ?
Cet effondrement supposé ne fait-il pas tout simplement partie d’un « donné » parmi d’autres avec lequel elle doit composer comme elle le fait, et l’a toujours fait, avec bien d’autres paramètres ?
Et, d’ailleurs, cette soi-disant révolution du réel ne serait-elle pas plutôt l’expression d’un parti pris idéologique ? Ce n’est évidemment pas l’analyse qu’en fait Yvan Rioufol. Pour lui, toutes les catégories sociales sont concernées, y compris celles qui s’en croyaient jusqu’à présent préservées.
Emergence d’un nouveau monde
Dans une tribune parue dans le Figaro, Pierre Vermeren (1966 -), normalien, agrégé, docteur en histoire contemporaine, spécialiste du Maghreb, auteur, notamment, de « La France qui déclasse » (1) écrit de son côté que :
« Le noyau des élites a pris ses désirs pour des réalités, car c’est moins le réel qui leur importe qu’un récit rassurant auquel elles veulent croire. »
Or ces élites qu’Ivan Rioufol voit de son côté dominées par « l’entre soi » font bien évidement partie du monde de l’entreprise. Le désarroi qui a fini par les toucher, suscité par l’inévitable révolution du réel – les faits sont têtus – entraine dans le même désarroi ce qui en faisait, et en fait encore largement la représentation, à savoir la classe managériale.
Les signes d’un changement d’ère allant de pair avec la révolution du réel
Quels sont ces faits si têtus qu’ils ne peuvent que remettre en cause des habitudes managériales ancrées de longue date, Pierre Vermeren n’y va pas par quatre chemins :
« En deux générations, écrit-il, la France a cessé d’être ce qu’elle fut, changeant davantage que depuis la Révolution. Sa population a été recomposée, son économie désindustrialisée, sa dépendance à l’extérieur considérablement accrue .
Elle a cessé d’être la grande puissance souveraine qu’elle fut en Europe, la « gardienne » de l’Afrique et un acteur majeur au Moyen-Orient.
Surtout, sa culture et sa civilisation ont considérablement mué. La France des arts et des sciences ne parle plus au monde, même si le luxe et la mode, en s’américanisant, ont gardé des atours. Les Français ont cessé de croire, en majorité, à la religion qui a forgé leur culture.
À parcourir les littératures populaires, savantes et enfantines du pays des Lettres, la richesse de leur langue a beaucoup régressé. Les Humanités ne trouvent plus preneurs chez les jeunes. Leur niveau scientifique s’est effondré.
Nombre de Français ne savent plus vraiment qui ils sont, ni s’il faut croire en quelque chose, de sorte que le « présentisme » est leur religion.
L’exhibitionnisme, la vulgarité, la crédulité et l’ignorance, poussés par les multimédias, se portent très bien, après avoir chassé les valeurs traditionnelles de la décence, de la modestie et de l’effort. » (2)
De la révolution managériale au blob management
On peut, bien sûr, refuser de souscrire à un tel tableau et le juger bien trop pessimiste. Cependant, ce qu’il pointe du doigt est bien là. C’est le réel et sa révolution dont on a parlé plus haut. C’est celui qui transforme de plus en plus l’entreprise en champ de bataille.
Comment dès lors la classe managériale « mise au monde » par James Burnham ne serait-elle pas impactée durablement par de tels bouleversements ?
Premier à l’avoir conceptualisée en tant que telle dans son livre paru en 1941 aux Etats-Unis, sous le titre « Managerial Revolution », traduit en français, sous celui de « L’ère des organisateurs », James Burnham en est indiscutablement le père.
On n’en parle plus guère aujourd’hui, mais ce qu’il décrit est exactement ce qui est advenu. Il a formé le management de guerre que nous avons précédemment évoqué.
La classe managériale d’aujourd’hui subit de plein fouet le nouveau monde saisi par Pierre Vermeren dans ce qu’il a de plus caractéristique.
Or comme on peut s’en douter, ce nouveau monde sans réelles valeurs est particulièrement propice à la croissance accélérée d’un blob management. Rappelons que, selon nous, ce dernier en constitue, en quelque sorte, le stade ultime.
Que faire pour mettre en place un management apaisé ?
D’où la question : que faire ? Pour Pierre Vermeren, la cause est entendue. « L’Etat doit prendre d’urgence les mesures nécessaires. » résume son éditeur. Réaction classique sous nos latitudes.
Rôle primordial des entreprises dans la mise en place d’un nouveau contexte entrepreneurial
La question du « Que faire ? » est naturellement légitime. Mais, pour nous, elle est, on ne peut plus, celle qui se pose en premier à l‘entreprise, plus qu’à aucune autre institution.
Tant elle est devenue elle-même une institution de premier plan. On a dit pourquoi dans un précédent développement.
Ce qui nous conduit à cette autre question : comment donc l’entreprise peut-elle accomplir le passage de la révolution managériale, décrite par James Burnham, à un nouveau genre de management ?
Lequel, selon nous, ne peut être que celui que nous avons appelé management apaisé. Le seul, à notre avis, à même de tenir compte de la révolution du réel en cours. Nouvelle ère, nouveau management, quoi de plus logique.
K-project au service d’un management apaisé dans un contexte de révolution du réel
Nous avons regroupé, sous le nom de « K-Project », l’ensemble des actions qui nous semblent nécessaires, de ce point de vue, pour faciliter l’émergence d’un management apaisé. Pierre Vermeren écrit encore dans la même tribune précitée que :
« Les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font ».
On peut en déduire avec une bonne dose de certitudes que lorsque les cycles se mettent à tourner et en France, ils le font apparemment, en général, tous les quarante ans.
On fait référence ici aux cycles politico-sociaux, ceux de Pierre Vermeren, et non aux cycles économiques, somme toute récurrents.
Les premiers peuvent tout changer de fond en comble. Ils ont tendance à réduire à peu de chose ce qui paraissait inébranlable encore peu de temps auparavant.
Ce qui hier était si évident, aujourd’hui ne l’est plus, sans qu’on s’en soit vraiment rendu compte. « O tempora, o mores ! » dit la formule latine. Autres temps, autres moeurs.
Ce qui ne signifie en rien que les nouveaux horizons vers lesquels ils conduisent ne puissent rester encore longtemps indistincts.
Les quatre temps forts d’un K-Project pour un management apaisé
En tout cas, dans un tel contexte, ces nouveaux temps qui se profilent nous paraissent suffisamment mûrs pour envisager d’autres pratiques managériales – c’est ça le K-project – plus efficaces.
Nous les avons développées en quatre chapitres : un premier, consacré au profil attendu d’un K-Manager ; un second, se demandant quelle est la meilleure organisation possible pour parvenir à un K-Management, autrement dit, le management apaisé recherché ; un troisième, s’interrogeant sur l’environnement entrepreneurial le plus propice à un K-Management, et enfin, un quatrième, faisant du bien commun, la valeur centrale de toutes les valeurs entrepreneuriales d’une K-Entreprise.
- (1) De la désindustrialisation à la crise sanitaire. La France qui déclasse. Pierre Vermeren. Tallandier -Texto, 2022Le Figaro, Tribune de Pierre Vermeren, 2 juillet 2024
- (2) Ibid, Pierre Vermeren.